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Sue Miller – Cuban Flute Improviser, Writer & Academic

Les enseignements musicaux en France Enquête à‘Abanico’September 30th, 2009

David Looseley's book The Politics of Fun

David Looseley's book The Politics of Fun

La vie musicale et les enseignements musicaux en France

Les enseignements des musiques afro-cubaines à Paris :

Etude de Cas : Enquête à l’école ‘Abanico’ à Paris  du 24 février au 8 mars 2003.

(Leisure and Culture in Contemporary France module French department, University of Leeds

Assessed Essay as part of my MA in Applied Translation)

by Sue Miller

April 2003

Du 24 février au 8 mars je suis partie à Paris pour faire de la recherche dans la musique cubaine à l’école ‘Abanico’. J’ai à la fois fait de la recherche musicale en tant que musicienne et de la recherche dans la vie musicale en France en tant qu’étudiante de français à l’Université de Leeds.

D’abord il faut  présenter quelques informations sur l’école ‘Abanico’, ses professeurs et ses élèves, avant d’examiner les résultats de mes recherches. Après avoir examiné les réponses de ces musiciens je vais faire l’analyse des entretiens, questionnaires et observations que j’ai faites au cours de mon séjour à l’école. Ensuite j’examinerai ses résultats  dans le contexte sociologique, culturel et politique de la France actuelle, en me référant aux idées de Joffre Dumazedier, Marc Fumaroli et Gilles Lipovetsky entre autres.

Pour commencer, ‘Abanico’ est une école de musiques afro-cubaines qui est unique en France et aussi en Europe. L’école offre non seulement des cours et les ateliers en musiques afro-cubaines (par exemple cours de percussion, piano salsa, basse, chant, ‘tres cubain’ et guitare et ateliers Salsa, Son Montuno, Charanga, Timba, Latin Jazz..) mais aussi l’école offre l’occasion aux élèves de faire des concerts, des rencontres,  d’écouter des disques et d’assister aux stages dispensés par les meilleurs musiciens du style.

L’école n’a pas son propre bâtiment et loue les studios de répétitions S.M.O.M (Sans Musique On Meure!). Cet endroit m’a aussi donné l’occasion de rencontrer des régisseurs et des musiciens d’autres styles de musiques.

Il y a cinq professeurs à l’école qui mènent la majorité des ateliers et qui donnent leur tout pour que l’école réussisse. Cette équipe ‘noyau’ comprend Laurent Erdös, Oussama Chraïbi (percussion), Kelly Keto, Emmanuel Massarotti et Carlos Esposito. Son fondateur Laurent Erdös est à la fois joueur de  timbales, percussionniste, pianiste, chef d’orchestre, compositeur des films et arrangeur. Il a dirigé les ateliers de Salsa et de jazz à l’une des premiers écoles de Jazz à Paris, ‘Arpèj’ et était le fondateur d’un grand orchestre afro-cubain «Mambomania». Sa formation musicale a eu lieu non seulement au conservatoire (où il a étudié la percussion classique) mais aussi dans une école de jazz de Paris et au « Harbour Conservatory for the Performing Arts » à New York (où il a étudié la Salsa). Kelly Keto, bassiste et chef d’orchestre, né à Brazzaville (Congo) dirige les ateliers de ‘Charanga’, ‘Son’ et ‘Son Montuno’ à Abanico. Musicien professionnel il joue dans les groupes « Kutimba », « Babacar Sambre », « Mambomania » et « La Charanga Keto » et entre 1993 et 1996 il était ‘attaché de presse’ en maison de disques ‘Polygram’. Inspiré par des ‘Charangas’ de New York quand il travaillait là-bas pour ‘Polygram’ il a commencé apprendre la basse dès son retour en France. Emmanuel Massarotti, à la fois pianiste, arrangeur et intermittent du spectacle, dirige les cours de piano et d’écriture et les ateliers ‘Son’, ‘Timba’ et ‘Latin-jazz’. Multi-instrumentaliste et soliste il a reçu sa formation classique au conservatoire et a poursuivi ses études de musique cubaine à Cuba en suivant des cours de percussion du style folklorique. Carlos Esposito est un chanteur vénézuélien qui a appris son métier sur le tas au Venezuela avant de devenir un coriste/percussionniste dans divers groupes du renom international comme « Orlando Poleo » et « La Sonora Matancera ».

Donc, les professeurs ont suivi des formations différentes, mais même les musiciens du conservatoire sont aussi autodidactes, comme le constate Laurent Erdös au long de son entretien :

« Moi, j’ai étudié la musique au conservatoire…la percussion classique, j’ai pris des cours dans une école de jazz et la musique cubaine, j’ai appris en relevant des disques et de temps en temps quand il y avait des musiciens latinos à Paris on est allé les voir dans leurs chambres d’hôtel et essayait de prendre des cours. »

(entretien, p3)

La plupart des étudiants sont des musiciens professionnels et sont issus des conservatoires où ils ont étudié la musique classique et quelques-uns uns le jazz.

Les amateurs, plus âgés, se trouvent surtout parmi les chanteurs et les percussionnistes.

Il existe  maintenant 235 élèves à Abanico, la majorité d’entre eux étant des musiciens, c’est à dire ils sont intermittents de spectacle ou enseignants. A l’exclusion des enfants (de l’atelier pour enfants), l’âge des élèves s’étend de 19 ans jusqu’à 54 ans avec un moyen d’âge d’environ 30 ans, mais ça peut varier d’année en année.

La plupart d’élèves, ayant étudié aux conservatoires, ne considéraient pas les conservatoires comme élitistes, mais ceux qui n’ont pas reçu une éducation musicale en conservatoire les considèrent élitaires à cause de leurs limites d’âge d’entrée et leurs frais trop élevés. Il faut dire que la plupart des conservatoires à Paris ont des limites d’âge même pour les enseignements de jazz. En regardant les renseignements dans le livre « Le Jazz à Paris » ( Filipetti 2003, chapitre 4), j’ai été frappé par ces limites d’âge exigées (moins de 30 ans pour le conservatoire Nadia et Lili Boulanger, moins de 25 ans pour le conservatoire Hector Berlioz, moins de 25 ans pour le conservatoire Claude Debussy), étant donné qu’il n’y a pas de limites d’âge pour entrer dans les conservatoires comme « The Royal Northern » ou « The Guildhall » en Angleterre. Comme le remarque une étudiante : « les places sont limitées et la sélection est sévère. Effectivement, on ne peut y jouer pour son propre plaisir. Il faut un rendement et le prestige du professeur est renforcé. »

Tous les élèves considéraient l’éducation musicale au sein du système éducatif comme étant d’une très mauvaise qualité. Même un professeur de musique dans ce système national a constaté qu’il y a un : « manque de compétence des profs, un manque de formation des enseignants et une mauvaise organisation du temps à l’école. »

A travers mon entretien avec Laurent Erdös j’ai discuté du manque d’enseignement musicale dans les écoles françaises et Laurent a remarqué comme Marie-Agnès Beau dans sa conférence à Leeds (le 26 février 2003) que la France était plutôt un pays pour la  littérature que pour la musique :

‘ Laurent : « En fait la France, de tous les gens qui ont vécu en dehors de la France, considèrent que l’enseignement de la musique en France c’est la pire chose…la France c’est un pays pour la littérature….En France on considère la musique comme un loisir – le premier loisir des français c’est la musique je crois ou après le sport..ou c’est le premier ou c’est le deuxième. C’est là où on achète le plus d’instruments..tout le monde a appris trois cordes de guitare…  ..il y a de plus en plus de gens qui gratouillent un instrument mais les gens vont de moins en moins aux concerts – les gens sont de plus en plus joueurs et de moins en moins mélomanes. »

Sue : « Et est-ce que le niveau de la majorité des gens est plus bas puisqu’ils n’ont pas reçu de l’enseignement musicale à l’école ?

Laurent : Je pense que le niveau général dans les autres pays est meilleur. En France il y a de très bons solistes..mais le niveau de base… »

(Entretien Laurent Erdös  25 février 2003, p5 & 6)’

Par contre, tous les élèves d’Abanico étaient très satisfaits des enseignements à Abanico, la compétence des professeurs « passionnés et généreux » étant souvent citée.

Pour Laurent Erdös le but de l’école c’est de créer un lieu de rencontre où on peut être plongé dans les musiques afro-cubaines, où on peut apprendre les instruments de la Salsa, assister aux orchestres, écouter les disques, assister aux stages de musiciens connus du style et aussi se produire sur scène :

« Moi je veux..c’est vrai que j’aime bien enseigner…mais l’idée c’était que, vu que je pense que cette musique-là est essentiellement culturelle et qu’il faut être plongé dedans et que tout le monde ne peut pas partir à Porto Rico ou à Cuba pour vivre pendant plusieurs années, donc l’idée est de recréer une espèce d’endroit où on aurait toutes les informations, toutes les  énergies ..à Paris…finalement  ..il y a plein, plein de gens qui viennent soit de Cuba soit de Colombie..c’est d’essayer de réunir tous ces énergies, de réunir le maximum des gens passionnés autour de cette musique-là et de faire venir des  musiciens de l ‘étranger, de créer des rencontres, faire circuler les informations.. »

(entretien, p3)

Parce que les conservatoires n’enseignent pas la Salsa il n’existe pas de tensions entre Abanico et les conservatoires, ce qui n’est plus le cas pour le jazz, comme constate Laurent :

« tant que les conservatoires n’enseignent pas la musique cubaine il faut pas y avoir des tensions…par contre dans les écoles de jazz…maintenant dans les conservatoires on enseigne le jazz et certainement ils ont perdu des élèves parce que du coup les conservatoires comme ils peuvent bien payer les profs puisqu’ils sont bien aidés par l’Etat… »

(entretien, p4)

Laurent préfère que les écoles de musiques restent indépendantes de l’Etat et n’est guère enthousiaste pour la création d’un conservatoire de musiques du monde :

‘Laurent : « Il y a en ce moment une volonté de créer un conservatoire de musiques du monde à Paris – donc, il y a un débat justement sur ce que serait, le conservatoire de musiques du monde.. »

Sue : « Parce que le monde c’est grand ! »

Laurent : « Le monde c’est grand..certaines personnes voudraient que dans ce conservatoire il y ait un grand maître de musique indienne, un grand maître de musique, dite persane, un grand maître de musique arabe…. »

Sue : « Il y a ça au conservatoire de Rotterdam »

Laurent : « Exactement – alors c’est pas mon concept du tout..mon idée c’est qu’il doit se développer des écoles ultra-spécialisées..Paris est suffisamment grand pour plein d’écoles de musique…tu viens ici pour t’adresser à des spécialistes  ..si tu veux faire une autre musique tu vas à la porte d’à côté. »’

(entretien, p4)

Emmanuel Massarotti remarque que la mode pour la Salsa commençait avec Irakere, Cachao et « Buena Vista Social Club » entre autres et la demande pour danse en couple a fait surgir la mode pour la danse Salsa dans les boîtes d’Europe.  Mais maintenant il y a une crise pour les musiciens de Salsa, vu que les boîtes n’engagent plus les orchestres de Salsa et les danseurs préfèrent danser sur de la musique enregistrée – la scène Salsa n’est plus aussi vibrante qu’avant et il y a plusieurs clubs menacés de fermeture maintenant à Paris comme ‘La flèche d’Or’ et ‘La Java’. Laurent raconte cette histoire de mode et d’économie qui est aussi le cas en Angleterre où le DJ gagne de l’argent mais les musiciens qui ont commencé ce monde de Salsa sont maintenant sans travail dans les clubs:

‘Laurent : « Le début de la mode Salsa c’était des musiciens…en 1991 il commençait en avoir plein, plein de boîtes avec des orchestres qui jouaient au moins dix lieux – El Eldorado pour les musiciens de Salsa et puis les écoles de danse se sont développés ..maintenant il n’y a plus de musiciens – les danseurs ne veulent pas aller dans un endroit où il y a des musiciens..

Natacha (professeur de danse de Tango) : Les danseurs n’écoutent pas la musique – ils s’emmerdent..

Sue : C’est exactement ce qui s’est passé en Angleterre

Laurent : Les boîtes – ça coûte chers embaucher les musiciens…il n’y a plus de travail pour les musiciens de cette musique à Paris.’

(entretien, p7)

Par contre il y a maintenant un public pour cette musique ailleurs dans les festivals et salles de concerts. La scène ‘Live’ en France est beaucoup aidée par l’Etat, comme le remarque Marie-Agnès Beau :

« In France there’s almost no club scene but we have a strong live scene. The government supports the live scene  – each town has subsidies from regional government so they can invite artists.. »

Il y a beaucoup de festivals en France subventionnés par le Ministère de la Culture qui offrent beaucoup de travail aux musiciens. Les musiciens professionnels français sont aidés par l’Etat à travers de divers chemins. Par exemple, bénéficiant du ‘statut intermittent’ ils reçoivent de l’argent de l’Etat pour vivre :

« In France, musicians and performers’ fees benefit from a specific status since 1936, which gives them unemployment benefits and holiday entitlement. The annexes 8 and 10 of the UNEDIC convention (Union Nationale Interprofessionnelle pour l’Emploi dans le Commerce et l’Industrie) grants them rights similar to PAYEs if they can prove they worked more than 507 hours in a year. »

(French Music Bureau 2002, p13)

Ce statut est menacé en ce moment et cette année il y avait une manifestation  à Paris au mois de février pour revendiquer ce droit au statut. La France est le seul pays d’Europe qui offre ce bénéfice aux musiciens et les musiciens français sont plus privilégiés que leurs confrères anglais. Par exemple pour survivre à Londres comme musicien professionnel il faut jouer ses concerts tous les soirs de la semaine et enseigner la musique dans la journée, ceux de Paris peuvent survivre avec deux concerts par semaine. En plus, jouissant de ce statut ils ont droit a des formations professionnelless gratuites à travers le système d’AFDAS, comme l’explique Emmanuel Massarotti :

« L’AFDAS est un fond d’aide créé pour les intermittents auprès de la Caisse de « L’UNEDIC », notre assurance sur l’emploi »

Il n’existe pas de telles mesures en Angleterre. Si on veut faire du développement professionnel en Angleterre un musicien doit faire sa candidature aux charités, le « Arts Council of England » ou à la loterie. Après avoir rempli des pages de formulaires le succès n’est pas garanti.

Quant à l’aspect commercial de cette musique cubaine, Laurent Erdös et Kelly Keto racontent des histoires très intéressantes:

A propos du marketing et de la vente de disques Kelly Keto insiste sur le fait que les tubes sont faits par des campagnes publicitaires des grands maisons de disque et que le public n’a rien à voir avec le choix des best-sellers :

Kelly : « Les maisons de disques font ça avec les gros artistes – avec ce qu’on appelle dans le jargon des ‘objectifs’. Donc, par exemple, demain si t’es signé dans une maison de disque et on dit que vous êtes un ‘objectif’ il va y avoir toute une série de personnes qui vont travailler que pour ton projet, que pour ta musique et qu’une fois que le disque sera fait et  mis en vente il y aura de commerciaux qui vont s’occuper des lieux de vente, de mettre les disques en place dans les magasins. Il va y avoir toute une équipe qui va s’occuper de la promotion – radio, presse, télé. Il va y avoir une équipe qui va s’occuper des projets spéciaux, prendre tes morceaux et les mettre sur les compil’ à droite à gauche. Il va y avoir toute une série de personnes qui vont arriver travailler pour le compte de ton projet, quoi….C’est une mafia.. »

Sue :  «  On dit que c’est le peuple qui décide les tubes.. »

Kelly : « Le peuple décide de rien du tout, non, non..je suis catégorique, je suis méchant, mais le peuple, il décide de rien du tout..Le peuple on le prend par le bout du né, on l’emmène où on veut l’emmener quoi et après on dit les gens ont décidé ça…T’as regardé les pubs télé machin « le meilleur de piano, le meilleur de la musique…le meilleur de machin » et après on dit « oui, regardez, c’est le public qui a décidé que lui c’est le meilleur » !

(entretien Kelly Keto, mars 2003)

Les majors ont un pouvoir énorme et comme remarque Frédéric Drewniak, les relations des majors avec les mass-médias ne laissent pas assez de place à la diversité :

« L’omnipotence des majors compagnies et leurs rapports ambigus avec les grands pôles de l’industrie des médias ainsi qu’avec les grandes centrales de distribution s’accompagne d’une sous-représentation d’une part importante de la production musicale. »

(Drewniak 2003, p22)

Laurent Erdös remarquaient que si le public visé par la maison de disques est jeune (pour le disque de Mambomania des jeunes de 14 à 16 ans ont étaient visés par le marketing) il faut que l’image du groupe soit « sexy »:

‘Laurent : « Quand j’ai commencé avec Mambomania on était signé chez « Barclay », une des plus grandes maisons de disques..et donc j’ai vécu tous les sketches qu’on peut imaginer – l’histoire de maisons de disques..ils nous ont dits que le chanteur n’était pas assez sexy – ils nous ont mis un top modèle, ancien champion de water-polo cubain qui savait pas chanter mais était très beau – j’ai découvert ce que c’était la beauté masculine !

…Moi  je voyais pas cette beauté..pour moi c’était un espèce de gros mec, un peu connard qui chantait faux, qui m’énervait..mais j’ai vu l’effet de la beauté..c’était monstrueux »

(entretien, p6)’

A propos de l’image de Salsa en France, plusieurs ont répondu que la Salsa était un stéréotype et que c’était, en effet, un véritable « produit exotique ». Tout en admettant que la publicité pour la Salsa compte sur les stéréotypes de manière peu imaginative, Laurent reconnaît aussi qu’il y a des images stéréotypées qui existent pour de vrai :

‘Laurent : « L’image de la Salsa c’est ‘on s’éclate !’ – c’est ‘Club Méditerranée’ ! Mais les images stéréotypées existent dans la réalité – je les ai vues à New York…. »

(entretien, p6)’

Mais en même temps les musiciens d’Abanico étaient tous d’accord pour dire que la musique salsa /afro-cubaine est une forme d’art pour ceux qui la pratiquent et un divertissement exotique pour le public en général ; comme le remarque Emmanuel Massarotti : « Pour les initiés, vue comme une forme d’art et pour le grand public et les politiciens populistes comme un divertissement exotique ».

Pour la plupart, les élèves d’Abanico suivent les cours pour développer leurs connaissances et compétences. Le développement professionnel est très important pour eux, la plupart d’entre eux étant des musiciens professionnels. Ce développement est aussi pris au sérieux par le gouvernement qui offre des subventions pour certains d’entre eux (avec le système d’AFDAS). Seulement  deux personnes sondées ont fait mention d’autres raisons comme « parce que c’est une musique festive et que l’école me permet de rencontrer des gens très différents » ou « plaisir de jouer une musique exotique et entraînante. » Alors parmi les trois fonctions du loisir du Dumazedier, le ‘Divertissement’ et le ‘Délassement’ sont moins importants pour eux que le ‘Développement’. Cette attitude n’est guère étonnante, vu que la plupart des élèves sont des musiciens professionnels.

En ce qui concerne la démocratisation de la culture je peux remarquer que par rapport aux Royaumes Unis, la musique en France demeure, en grande partie, le domaine des spécialistes. Les enseignements musicaux n’existent guère dans le système éducatif national et tous ne peuvent pas payer les frais élevés des cours aux conservatoires nationaux et municipaux ou même des écoles de musique indépendantes. Les étudiants sortis des conservatoires pour la plupart pensent  que les conservatoires sont ouverts à tous, mais les élèves plus âgés, qui n’ont pas eu l’occasion d’y étudier, les perçoivent comme élitaires à cause de ses limites d’age et ses auditions pour l’entrée.

Pourtant la pratique amateur augmente en France, mais comme le remarque Laurent Erdös, le niveau de base est pire que le reste de l’Europe  par contraste avec le niveau très haut des solistes issus des conservatoires. La consommation des produits musicaux par des amateurs augmente et comme l’observe une élève : « ils représentent une bonne source économique ». Pourrait-on voir cette consommation d’instruments et de disques comme une activité sans valeur ? Si le niveau des amateurs reste bas, à qui la faute ? Après mes recherches à Abanico je suis tentée de conclure que c’est plutôt le manque d’enseignement musical à l’école qui est responsable du bas niveau des amateurs en France puisque les cours en conservatoires demeurent chers et les limites d’âge aussi les rendent élitaires à un certain degré. On pourrait postuler que les mass-médias donnent l’impression que la musique peut s’apprendre sans trop d’effort, en peu de temps, mais la volonté d’apprendre parmi les amateurs de la musique que j’ai rencontrés me fait penser autrement.

Personne à l’école  ne voulaient mettre un style de musique au-dessus d’un autre et ce ‘chacun à ses goûts’ peut être observé sous l’aspect de ‘personnalisation’ de Lipovetsky. Cette tolérance peut être vue, selon votre propre perspective, comme une chose positive (l’égalité des musiques) ou négative (l’incapacité de distinguer la culture du loisir de masse, la peur d’être vu comme élitaire si on fait des jugements sur des musiques différentes). Ils sont donc en accord avec Jack Lang :

« A chacun son choix : l’art savant ou l’art populaire, l’art nouveau ou l’art traditionnel »

(discours de Jack Lang à l’Assemblée Nationale Novembre 1991, cité en Looseley  1995, p123)

Et ils sont aussi de la même avis que Lipovetsky :

« le post-modernisme n’a pour objet ni la destruction des formes modernes ni la résurgence du passé, mais la coexistence pacifique des styles. »

(Lipovetsky 1983, p 175)

Le fait que les français, selon Laurent, sont « de plus en plus joueurs et de moins en moins mélomanes » pourrait être lié à cette idée de Lipovetsky de ‘personnalisation’ où tout se fait dans la société post-moderne pour le développement de soi et non pour la société en général. Même l’idée de Laurent pour la création de plusieurs écoles de musiques ultra-spécialisées à Paris peut être vue comme partie de cette culture individualiste, où il y a plein de choix dans une vie où on peut construire sa vie selon ses préférences.

En ce qui concerne l’effet du marché sur les activités artistiques, les musiciens d’Abanico étaient plutôt en accord avec Dumazedier qu’avec Fumaroli.

Fumaroli  croît que la philosophie du marché ne doit pas être appliquée aux arts et l’avis de Dumazedier est plus qualifié. Dumazedier pense que la publicité peut être une bonne chose ou une mauvaise chose pour la culture. Le danger de la publicité pour Dumazedier (et les musiciens d’Abanico) existe quand l’aspect superficiel domine, c’est à dire quand la publicité « frappe » au lieu « d’informer » (Dumazedier  1962, p76)

Néamoins, la musique et le marketing peuvent fonctionner ensemble très efficacement – comme l’affirme Emmanuel Massarotti :

« Le marketing  et la musique sont deux notions différentes, l’un travaillant pour l’autre avec tout de même parfois d’excellents résultats : Cachao Master Sessions, Orlando ‘Cachaito’ Lopez, Rumba All Stars (Grammy Award), Jesus Alemany, Irakere etc ont bénéficié du marketing en présentant un travail phénoménal – sans le négociant on ne peut pas vendre ses patates en dehors de la ferme.. »

Pour Fumaroli  les arts maintenant en France souffrent de l’effet de la philosophie du marketing et du ‘propagande’ du Ministère de la Culture :

« On y trouve en effet tous les arts étouffés par une prétention bureaucratique à la créativité »

(Fumaroli 1991, p 293)

Les musiciens d’Abanico, tout en constatant que le marketing est malheureusement devenu plus important que la musique en elle-même, ne veulent pas que l’aide de l’Etat diminue..comme le dit Emmanuel Massarotti.. : « L’argent n’est-il pas toujours bienvenu ? » Les valeurs du marché se répandent dans tous les sphères des arts plutôt à cause de la commercialisation et non seulement par des actions des politiciens. C’est l’esprit du temps, comme le remarque Fumaroli lui-même :

« L’administration s’accordait plus ou moins à l’esprit du temps, utilitaire, fonctionnel, efficace. »

(Fumaroli 1991, p 225)

Sur la question des subventions du gouvernement dans le domaine de la musique il y avait des réponses mixtes. D’une part, il existe une méfiance envers l’interférence de l’Etat, une colère envers un gouvernement qui veut supprimer le ‘Statut des Intermittents » et de l’autre côté, une reconnaissance des festivals de  musiques subventionnés partout en France et ils manifestent un grand enthousiasme pour le système d’AFDAS qui paient pour des formations professionnelles des musiciens.

Pour conclure il faut admettre que le niveau des musiciens professionnels en France est très haut et que les musiciens professionnels sont bien aidés par l’Etat (avec les ressources d’IRMA, le statut d’intermittent, la formation professionnelle AFDAS, les festivals subventionnés). C’est au niveau des musiciens amateurs que demeurent les inégalités. Le fait qu’on achète beaucoup d’instruments et de disques en France suggère qu’il existe une volonté forte d’apprendre à jouer de la musique. Pour ces amateurs il existe des ateliers aux MJC et des cours dans les conservatoires municipaux mais c’est au sein du système scolaire que se trouve un veritable ‘désert culturel’. Peut-être la responsable de cette situation ne serait-elle pas la culture française elle-même. Les français préfèrent une éducation académique plutôt qu’artistique. Comme le remarque le Ministère  de l’Education National et de la Culture:

« Le rôle des arts dans l’enseignement n’est pas apprécié à sa juste valeur. Les parents d’élèves, et parfois les élèves eux-mêmes, inquiets des bouleversements du marché du travail, considèrent souvent l’apprentissage et la pratique des arts comme un luxe.. »

(Paris : Hatier/L’Etudiant, no date [1993])

(2,754 words excluding quotes and bibliography)

BIBLIOGRAPHY

BEAU, Marie-Agnès, une conférence à l’Université de Leeds le 26 février 2003

DREWNIAK, Frédéric ‘Les trompettes de la renommé’ dans ‘L’Officiel de la Musique’ IRMA 2003

DUMAZEDIER, Joffre Vers une civilisation du loisir ? Editions du seuil, 1962

ERDÖS, Laurent Entretien avec Sue Miller à Abanico le 25 février 2003

FILLIPETTI, Sandrine 2003 ‘Le Jazz à Paris’ éditions Parigramme

FRENCH MUSIC BUREAU, ‘Comparative Research between the French and British Music Markets’ Preliminary Results’ London : French Music Bureau 2002

FUMAROLI, Marc ‘L’Etat Culturel, Essai sur une religion moderne’, Paris :Editions de Fallois 1992

KETO, Kelly Entretien avec Sue Miller à Paris mars 2003

LIPOVETSKY, Gilles ‘L’ère du vide Essais sur l’individualisme contemporain’ , Editions Gallimard, 1983 & 1993

LOOSELEY, David ‘The politics of Fun’, Berg Oxford 1995 & 1997

MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE ET DE LA CULTURE (Délégation au développement et aux formations), ‘L’Art à l’école : enseignements artistiques et pratiques artistiques’, Paris : Hatier/L’Étudiant, no date [1993]

QUESTIONNAIRE COMPILÉ  des réponses des musiciens d’Abanico,

recherches de la part de Sue Miller à Paris au mois de février et mars 2003